Donald Trump ou la politique du tour de passe-passe : mettre en place une politique, la critiquer vertement en affirmant qu’elle n’est pas de son ressort, puis revenir dessus, en essayant de passer pour le redresseur de torts. Après le scandale et l’émotion déclenchés par la diffusion des images d’enfants migrants détenus en cage, en pleurs et déboussolés, et l’officialisation des chiffres – plus de 2 300 mineurs, parfois en très bas âge, séparés de leurs parents, accusés d’avoir franchi illégalement la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, ces cinq dernières semaines – Donald Trump a fait volte-face mercredi.

Alors qu’il affirmait depuis plusieurs jours que cette situation de «crise humanitaire» était la faute du Congrès, et que seul le Congrès pouvait l’arrêter, le président américain a finalement corrigé le tir mercredi, en signant un décret destiné «à maintenir les familles ensemble tout en gardant notre frontière forte et efficace», a-t-il dit à la presse. «Nous allons signer sous peu un décret, Evidemment, nous comptons aussi sur le Congrès. Nous voulons garder les familles ensemble.» «Je n’aimais pas voir des familles être séparées», a-t-il justifié lors de la cérémonie de signature.

Le texte, rédigé par le département de la Sécurité intérieure (DHS), permet d’enfermer les familles ensemble. Alors que les centres de détention pour migrants sont engorgés, le décret signé par Trump demande au secrétaire à la Défense de coopérer avec le DHS en mettant à disposition des sites militaires disponibles pour «l’accueil et la prise en charge des familles étrangères», et en construisant de nouveaux si nécessaire.

En outre, le texte demande la modification d’un accord judiciaire de 1997, le «Flores settlement», conclu à l’époque entre l’administration Clinton et des défenseurs de migrants. Cet accord limite à vingt jours la durée de rétention des enfants. Le décret de Trump demande que cette restriction de temps disparaisse afin de «permettre la détention des familles étrangères ensemble tout au long de la procédure judiciaire pour entrée illégale». La légalité de cette modification reste, pour l’heure, incertaine.

«Un sacré dilemme !»

La séparation des familles à la frontière est la conséquence directe de la politique de «tolérance zéro» voulue par Trump en matière d’immigration illégale. Son administration a en effet décidé, en avril, de criminaliser systématiquement l’immigration illégale, les précédents gouvernements privilégiant au contraire des poursuites au civil à l’encontre des clandestins passibles d’expulsion. Fait rare, le Président a fait part, mercredi, d’un certain désarroi : «Sur l’immigration, si on est faible, le pays est envahi, et si on est ferme on n’a pas de cœur, a-t-il concédé lors d’une réunion avec des sénateurs devant des journalistes. J’ai tendance à être ferme, mais c’est un sacré dilemme !»

Malgré ce revirement, le président américain tente de garder la face et son intransigeance sur la politique migratoire : «Nous devons rester durs, sinon notre pays sera envahi par des gens, par des crimes, par toutes ces choses que nous ne voulons pas, a-t-il ajouté. Nous gardons une frontière très solide et nous poursuivons notre politique de tolérance zéro. Nous n’avons aucune tolérance pour les gens qui entrent dans notre pays illégalement.»

L’impopularité de sa mesure a sans doute été trop forte. Avec sa politique de séparation des familles, Trump a braqué l’opinion publique nationale et internationale. Le président américain a essuyé des critiques émanant de son propre camp, des parlementaires républicains aux leaders chrétiens évangéliques, frange puissante de sa base électorale. Des centaines de fidèles de l’église méthodiste de Jeff Sessions, le procureur général, ont même condamné les décisions de celui-ci, à la manœuvre dans l’application de cette politique. «Le populisme n’est pas une solution», a de son côté critiqué le pape François, dans un entretien à l’agence Reuters. L’épouse du Président, Melania Trump, l’aurait également encouragé à revenir sur cette mesure, affirme CNN. Tout comme sa fille Ivanka, selon Politico.

«Infestent notre pays»

Rejetant la faute sur le Congrès et sur les démocrates, le président américain en a lui-même convenu devant des élus républicains, mardi soir : en cette année d’élections de mi-mandat, la couverture médiatique de «ces bébés qui pleurent n’est pas terrible politiquement», a rapporté une personne présente. La Chambre des représentants doit également voter ce jeudi une loi mettant un terme aux séparations de familles de migrants franchissant illégalement la frontière et «résolvant» le statut des jeunes arrivés sans papiers aux Etats-Unis.

«Nous ne voulons pas que les enfants soient séparés de leurs parents,avait affirmé mardi le vice-président Mike Pence, poussant la rhétorique jusqu’à l’absurde. C’est une tragédie de voir que ces politiques migratoires défaillantes ont encouragé ces familles vulnérables [à venir illégalement aux Etats-Unis, ndlr], et littéralement mis des adultes et des enfants fragiles en danger. C’est simplement inacceptable.»

L’administration Trump n’en est pas à un paradoxe près. Et Donald Trump n’en démord pas : «Les démocrates sont la cause du problème, a-t-il tweeté. Ils ne se préoccupent pas de la criminalité et veulent que les immigrants clandestins, même s’ils sont dangereux, affluent et infestent notre pays, comme le MS-13. Ils ne peuvent pas gagner [les élections] avec leurs très mauvaises politiques, alors ils les voient comme des électeurs potentiels !» Le Président est depuis toujours obsédé par le gang MS-13, qui lui sert d’épouvantail pour justifier la dureté de sa politique migratoire à l’égard des Latinos. Pour lui, cette mara cristallise l’importation, aux Etats-Unis, de la criminalité d’Amérique centrale. C’est pourtant l’inverse, puisque le gang, composé surtout de Salvadoriens, est né sur le sol américain, à Los Angeles dans les années 80, avant de se propager à d’autres parties du pays puis en Amérique centrale.

Dans une périlleuse pirouette, la Maison Blanche avait même tenté de renverser le problème : des familles américaines sont elles aussi séparées, affirme-t-elle, à cause de la criminalité des migrants. «Les lois qui laissent nos frontières ouvertes sont responsables de la séparation permanente de trop d’Américains, dont les êtres aimés ont été victimes de crimes commis par des clandestins», a écrit la porte-parole dans un communiqué, avant de lister des cas d’homicides par des migrants illégaux.

«Tuer des citoyens américains»

Le jusqu’au-boutisme de Trump en matière d’immigration, du muslim ban à ses restrictions de programmes d’asile en passant par l’érection de son fameux mur avec le Mexique, ne doit bien sûr rien au hasard. Depuis sa campagne électorale, lors de laquelle il avait qualifié les Mexicains de «violeurs et de criminels», le Président, appuyé notamment sur ce sujet par son conseiller d’extrême droite Stephen Miller, fait tout pour afficher une fermeté totale sur l’immigration. Les grosses ficelles de sa stratégie ont été très clairement explicitées par Corey Lewandowski, l’un des plus proches conseillers du Président : «Les gens ne se mobilisent pas aux élections simplement pour dire merci. Si vous voulez motiver les gens, vous devez leur donner une raison de voter. Dire « il faut construire le mur et empêcher les migrants illégaux de venir aux Etats-Unis et de tuer des citoyens américains » leur donne un but important.»

Lors d’un discours devant des patrons de petites entreprises, mardi, Trump a insisté : «Nous n’avons pas de mur. Nous n’avons pas de sécurité aux frontières. Sans frontières, vous n’avez pas de pays.» Sur l’estrade, il a ensuite serré dans ses bras un drapeau américain.