Le parti républicain est au bord de l’implosion. L’électrochoc du Super Tuesday, lors duquel Donald Trump a remporté sept primaires sur onze, a déclenché un cataclysme au sein du camp conservateur. «Bienvenue dans la guerre civile du GOP», titre même le site Politico, en référence au Grand Old Party, le surnom de la formation républicaine. Dans les primaires américaines, la semaine du «super mardi» permet souvent d’éliminer les candidats les plus fragiles et d’amorcer le processus de rassemblement autour du mieux placé. Traditionnellement, lorsqu’un prétendant jouit à ce stade d’une confortable avance sur ses rivaux, l’état-major du parti et les donateurs canalisent leurs efforts derrière sa candidature. Cela permet d’étouffer peu à peu les attaques intestines pour se focaliser sur le camp adverse.

2016, toutefois, n’a rien d’une élection traditionnelle. Horrifiés par la perspective de voir Donald Trump remporter l’investiture, plusieurs figures et élus conservateurs ont sonné la charge jeudi, à commencer par les deux anciens candidats à la présidence, John McCain (2008) et Mitt Romney (2012). «Donald Trump est un imposteur, un escroc. Il prend les Américains pour des pigeons», a déclaré ce dernier dans un discours très médiatisé à Salt Lake City, dans l’Utah. «Sa politique intérieure nous conduirait à la récession. Sa politique étrangère rendrait l’Amérique et le monde moins sûrs. Il n’a ni le tempérament ni le discernement pour être président», a martelé l’ancien gouverneur du Massachusetts. «Il n’y a probablement jamais eu un tel niveau d’invective personnelle de la part d’un ancien nominé républicain envers le favori», a confié au New York Times David Greenberg, historien à la Rutgers University.

Fidèle à son style outrancier, le magnat de l’immobilier a répliqué par une blague graveleuse. «J’ai soutenu Mitt Romney en 2012. Il m’a supplié pour obtenir mon soutien. J’aurais pu lui dire, « Mitt, mets-toi à genoux », et il se serait agenouillé», a lancé Trump lors d’un meeting à Portland, dans le Maine. Quelques heures plus tard, à l’issue du onzième débat télévisé républicain, le milliardaire s’est moqué de la défaite de Mitt Romney face à Barack Obama en 2012. «Il nous a vraiment laissé tomber il y a quatre ans. Il aurait dû gagner cette élection», a-t-il dit, reprochant à Mitt Romney d’être un «perdant» empli de «jalousie».

Fracture irréparable

De l’avis des observateurs, l’attaque en règle lancée par Mitt Romney illustre une fracture irréparable au sein du parti républicain. Mercredi soir, près d’une centaine de responsables conservateurs ont publié une lettre ouverte, promettant de ne jamais soutenir Donald Trump et critiquant ses positions sur le commerce, l’immigration, les musulmans, la torture ou encore Vladimir Poutine. En cas de victoire du milliardaire à la primaire, certains n’hésitent plus à pronostiquer un schisme au sein du parti. «Il ne semble pas y avoir de bonne solution pour recoller les morceaux. Si Trump est le nominé, un conservateur de l’establishment se présentera. Si, à l’inverse, il se fait écarter par le parti, il se présentera en indépendant», estime Matt Down, un ancien conseiller de George W. Bush.

Fort de ses victoires dans dix des 15 premiers scrutins organisés depuis le 1er février, Donald Trump n’a toutefois pas grand-chose à craindre de Mitt Romney. Au contraire : les attaques pourraient renforcer sa candidature. Quoi de mieux, en effet, pour celui qui cultive son image d’homme fort et d’outsider, que d’être attaqué par les deux candidats battus par Barack Obama ? «Cela aide Donald Trump quand l’establishment s’acharne sur lui, parce que le fait qu’il ne fasse pas partie de l’establishment est justement l’une des raisons pour lesquelles les gens l’aiment», a réagi une porte-parole de la campagne Trump.

Attaques répétées

Outre la révolte d’une partie des élites républicaines, Donald Trump a dû faire face jeudi soir aux attaques répétées de ses adversaires, lors du débat télévisé organisé par Fox News. Tour à tour, Marco Rubio et Ted Cruz l’ont attaqué sur sa carrière d’homme d’affaires, sur les faillites de certaines de ses entreprises et sur le procès en cours, pour escroquerie, d’ex-étudiants de sa Trump University. Extraits vidéos à l’appui, les animateurs du débat ont également poussé Donald Trump dans ses retranchements, mettant en avant ses nombreux changements de positions sur l’accueil des réfugiés syriens, la guerre en Afghanistan ou l’immigration. Mis en difficulté, souvent incapable de répondre de manière spécifique à la question posée, le milliardaire a vanté sa «flexibilité» et la nécessité de négocier pour parvenir à des résultats.

Interrogés en fin de débat par les journalistes de Fox News, les trois rivaux de Donald Trump se sont engagés à le soutenir si jamais il obtenait l’investiture du parti. Des rumeurs prêtent toutefois à l’état-major républicain la volonté d’organiser un putsch pour écarter Donald Trump lors de la convention de Cleveland en juillet, dans l’hypothèse où celui-ci n’aurait pas obtenu la majorité des délégués d’ici-là. Bon joueur, le milliardaire a promis de ne pas se présenter en indépendant. Un point sur lequel il a souvent donné des réponses contradictoires. On est flexible ou on ne l’est pas.

Frédéric Autran