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jeudi, mars 28, 2024
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Crise du nord Cameroun : contenir le danger d’une déstabilisation régionale

Les désordres engendrés par les attaques récurrentes et de plus en plus hardies du groupe islamiste extrémiste Boko Haram constituent une menace très sérieuse, dont les répercussions pourraient déborder des zones d’exactions actuelles limitées au nord-est du Nigéria, à l’extrême nord du Cameroun, au sud-est du Niger et au flan ouest du Tchad autour du Lac Tchad, pour déstabiliser gravement les pays les plus fragiles entourant cette zone.
Cette menace est d’autant plus inquiétante qu’elle met face à face un groupe terroriste déterminé à imposer sa loi par la force, et des Etats dont le niveau de préparation pour affronter une telle situation est à ce jour très insuffisant sur les deux dimensions à considérer : l’action militaire et le renseignement. La négociation n’étant pas envisageable face à de tels mouvements qui utilisent prioritairement la violence et la terreur pour parvenir à leurs fins, hisser le niveau d’efficacité des forces armées et des services de renseignements des Etats concernés à la hauteur de la menace n’est plus une option mais devient une nécessité vitale. Dans le cas contraire le risque encouru n’est rien moins que celui d’un effondrement total ou partiel de ces Etats par suite de l’abandon de tout ou partie du territoire aux djihadistes. Avant d’examiner les moyens pouvant permettre à ces Etats d’atteindre ces objectifs, il est nécessaire de bien appréhender la dimension de la menace qui se profile, et d’évaluer ses impacts dont les plus significatifs sont d’ordre sécuritaire et économique avec des conséquences potentiellement catastrophiques pour les populations sur le plan humanitaire.
Evaluer la situation.

Le risque d’enlisement dans une guerre longue, destructrice et meurtrière est bien réel, tant sont réunis les principaux ingrédients alimentant des conflits similaires dans d’autres endroits du monde :
Expansionnisme religieux belliqueux, appuyé sur des groupes armés fanatisés et sous la conduite de chefs de guerre prônant l’instauration d’un islam radical. La guerre n’est plus considérée par ces groupes comme un recours ultime, elle est considérée comme un moyen tout cours et même le moyen privilégié pour imposer faire triompher leur cause. Ces groupes revendiquent une alternative à l’influence jusque-là prépondérante de l’Occident, dont la supériorité est désormais contestée et qui cherche de son côté à conserver sa domination par tous les moyens. Le prosélytisme islamique prôné par ces groupes répond à un autre prosélytisme, chrétien et défendu par l’Occident, dont la volonté d’hégémonie est tout autant forte mais qui n’utilise plus la guerre comme moyen d’expansion. La confrontation entre l’islam et le christianisme constitue sans doute un des facteurs-clefs de la reconfiguration des équilibres géopolitiques du monde aujourd’hui. L’intensité de cet affrontement est soulignée d’un côté par la multiplication de foyers de tension allumés par des groupes prônant l’expansion de l’islam par le djihad, et de l’autre côté à travers l’explosion du nombre d’églises charismatiques au cours des dernières décennies, dont l’influence contestable à bien des égards se fait sentir jusque dans les plus hautes sphères de l’Etat. Il est difficile de croire par exemple, que ce soit le fruit du hasard qu’un si grand nombre de missions chrétiennes d’Amérique et d’Europe se soit installé dans une ville camerounaise comme Ngaoundéré pourtant à majorité musulmane.
Pouvoirs centraux faibles et corrompus, ayant peu ou pas du tout investi dans le maintien de leurs institutions régaliennes comprenant les forces armées. Seule dans certains cas une police de répression interne est entretenue, force bien évidemment inappropriée à l’action militaire.
Conditions précaires d’une population pauvre et marginalisée, vivant dans des régions abandonnées par les pouvoirs centraux, qui constituent un terreau fertile pour le recrutement de nouveaux adaptes qui se laissent tenter par la perspective d’une vie matérielle et spirituelle meilleure que ces mouvement d’inspiration salafiste font miroiter.
En Somalie, comme en Irak, en Afghanistan, en Lybie et même au Mali, des chefs de bande peu scrupuleux tirent profit de ces conditions favorables pour se tailler des territoires débarrassés du contrôle du pouvoir central, qu’ils utilisent ensuite pour développer des activités moins avouables et surtout plus lucratives. Ils peuvent ainsi obtenir des revenus considérables par des actes de brigandage (pillage, prise d’otages) et par des alliances de circonstance avec des trafiquants de tous ordres (drogues, cigarettes, armes, pétrole …) dont les activités illicites se globalisent au rythme de la mondialisation. Ce lien avec les groupes maffieux de trafics est une constante chez ces mouvements car il constitue un moyen facile pour générer rapidement des revenus substantiels.
Ce risque est aggravé par le fait que les acteurs politiques de la région, à l’exception notable du président Idriss Deby du Tchad, ont trop tardé à prendre la vraie mesure du danger qui menaçait leurs pays. Il est surprenant par exemple que les présidents Paul Biya du Cameroun et Goodluck Jonathan du Nigéria aient attendu une invitation à un sommet pour la sécurité au Nigéria organisé à Paris à l’initiative de la France en mai 2014, pour se rencontrer en tête à tête pour parler de ce problème, alors même qu’il était évident que la contestation violente du groupe Boko Haram avait pris une autre dimension bien plus menaçante depuis plus de deux ans. Il parait vraisemblable que jusque-là ces dirigeants de deux pays pourtant les plus concernés par la menace Boko Haram sévissant sur leur frontière commune, n’avaient pas pris la menace suffisamment au sérieux. Leur gestion de cette crise est marquée par une légèreté surprenante à ce niveau de responsabilité, et qui serait même comique si n’en dépendait pas la paix et la liberté dans la sous-région. Le président Goodluck n’a pas jugé utile de recevoir les familles des plus de 200 filles enlevées à Shibok dans le nord de son pays en avril 2014, témoignant d’une absence d’empathie révoltante pour ces familles durement éprouvées. Pendant le même temps, il faisait organiser un mariage somptuaire à sa fille. De son côté le président Paul Biya du Cameroun n’est pas en reste, à sa sortie de cette réunion au sommet, il s’est précipité au devant des micros tendus par les journalistes présents sur le perron du palais de l’Elysée pour se fendre d’une déclaration de guerre tonitruante à Boko Haram : un président ayant la conscience de ses hautes fonctions ne déclare pas une guerre à partir de l’étranger, dans l’enceinte même d’une présidence étrangère ! Peut-être pensait-t-il à ce moment-là que cette guerre était également celle de la France ? Il n’en est rien, il s’agit avant tout d’une affaire de la sous-région où sévit cette menace avec le Nigéria et le Cameroun en première ligne, il serait hautement improbable que la France, encore moins l’Amérique, y engage la moindre troupe.
Boko Haram a aujourd’hui largement débordé des frontières du Nigéria où ce mouvement a vu le jour, pour devenir le problème de toute la sous-région. Cette évolution était prévisible :
Ce mouvement s’est implanté dans une région où la proximité ethnique et religieuse des populations ne tient pas compte des frontières que du reste presque rien n’empêche de franchir à loisir.
Les populations de ces régions sont souvent démunies et abandonnées des pouvoirs centraux corrompus, leur dénuement les rend vulnérables à l’endoctrinement de sectes décidées à étendre leur influence par tous les moyens y compris par la violence.
De nombreux observateurs de la société civile ont eux-mêmes eu une lecture surprenante et à mon sens erronée de cette crise. Les arguments les plus invraisemblables ont été avancés pour expliquer la situation, dans l’élan de cette surenchère de politique fiction qui se contente d’une lecture paresseuse de l’actualité en faisant l’économie d’un effort d’examen critique et d’une documentation sérieuse, en masquant les lacunes par de laborieuses constructions intellectuelles sans fondements factuels :
Boko Haram serait une invention des Américains pour semer le chaos rendant leur intervention indispensable, ce qui leur procurera le prétexte pour mettre la main sur les richesses naturelles abondantes dans la région. Une telle alliance même secrète avec Boko Haram est très improbable, parce que de tels groupes sont incontrôlables.
Soutien en sous-main de la France à Boko Haram pour faire pression sur le gouvernement camerounais afin qu’il soit plus conciliant pour les intérêts de la France. La France est déjà mise à rude épreuve sur plusieurs théâtres d’opération, elle mène un combat difficile contre des groupes djihadistes menaçants au Mali, elle tente de freiner l’implosion de la Centrafrique aux conséquences potentiellement désastreuses pour ses intérêts en Afrique centrale. Il serait surprenant qu’elle favorise l’ouverture d’un nouveau front de combat au Cameroun, pays dans lequel ses investissements importants seraient mis en péril s’il sombrait dans la déstabilisation.
Il a même été avancé l’idée d’une manipulation en sous-main orchestrée par certaines personnalités du nord Cameroun dont quelques uns se trouveraient dans l’entourage même du chef de l’Etat, afin de reprendre au sud le pouvoir politique qui leur aurait échappé depuis le départ d’Ahidjo. L’histoire de la mésaventure du vice-Premier Ministre du Cameroun Amadou Ali a même alimenté de manière assez surprenante cette version, ce dernier ayant échappé à une attaque de Boko Haram en juillet 2014 qui s’est conclue notamment par le rapt de sa femme et l’assassinat de son aide de camp qui accompagnait cette dernière. D’aucuns ont affirmé un peu naïvement que ce ministre avait eu vent de l’attaque préparée par suite d’un désaccord avec de supposés complices liés à la nébuleuse Boko Haram. Ce serait la raison pour laquelle il est resté à Maroua la nuit de cette attaque au lieu de se rendre comme initialement prévu en compagnie de son épouse dans la localité de Kolofata où le guet-apens était tendu. Si tel est le cas, aurait-il donc sciemment envoyé à la mort sa femme et son aide de camp fidèle ? Rien ne permet de considérer qu’il ait ainsi cyniquement planifié ce qui ne serait rien moins qu’un assassinat, c’est-à-dire la capture de sa femme par un mouvement terroriste ultra violent et qui exécute ses otages à tour de bras. Il est plus que probable que son départ de Maroua a été retardé par les nombreuses affaires qu’une personnalité de son envergure doit traiter, une grande ville comme Maroua étant plus susceptible d’abriter ses interlocuteurs que le petit village de Kolofata où il devait se rendre selon toute vraisemblance pour des affaires strictement familiales. Seul un heureux hasard semble lui avoir permis d’échapper au piège tendu par les terroristes. Il faut noter au passage que ces derniers démontrent ainsi qu’ils disposent dans cette région du nord Cameroun d’une implantation et de réseaux en mesure de leur procurer des informations ainsi que les relais nécessaires pour planifier et réaliser des opérations d’une telle ampleur.
Il a été également imaginé que le président Paul Biya lui-même manipulerait en sous-main les désordres dans le nord du pays pour faire sortir du bois ses adversaires cachés issus de cette région afin de pouvoir les neutraliser au travers de son opération « Epervier », une machine politico judiciaire qu’il a mise en place pour traquer ses adversaires politiques sous le couvert de la lutte contre la corruption.
Certains organes d’information se sont fait une spécialité de la propagation de telles informations qui en l’absence de preuves évidentes –aucun n’en a produit jusqu’à présent – ne sont que des rumeurs infondées. Afrique Media par exemple s’est particulièrement illustré dans ces dérives au cours de la période récente. Ce genre d’informations est d’autant plus valorisant pour ses auteurs aux yeux d’un auditoire crédule qu’il véhicule des révélations sensationnelles mettant en cause les puissants de ce monde, mais il induit cet auditoire en erreur en lui apportant de fausses réponses aux vrais problèmes qui se posent. L’activité de tels acteurs médiatiques s’apparente à de l’endoctrinement plus qu’à l’information, et à ce titre la société a le devoir de les rappeler à leurs responsabilités fondées sur l’investigation et la documentation factuelle des informations délivrées. La violence de la diatribe ne saurait constituer une mesure de sa pertinence.
Il faut noter enfin que dans ce contexte de crise régionale, le Cameroun est confronté à un facteur aggravant lié à sa position centrale dans la zone de turbulence, pris en sandwich entre la menace islamiste sur son flan ouest et les instabilités persistantes de la République Centrafricaine sur sa frontière est d’où peut surgir à tout moment de nouveaux dangers. Cette crainte s’est notamment concrétisée depuis quelques années par des raids de braconniers venus des confins du Soudan à travers une Centrafrique impuissante à contrôler son territoire, qui ont exterminé des populations entières d’éléphants du nord Cameroun pour leur ivoire, par exemple dans le vaste parc de Bouba Ndjida (le plus riche des parcs nationaux du Cameroun).
Cette crise a d’importantes répercussions sur les sociétés et sur les activités économiques de la région, qui font peser la menace d’une déstabilisation généralisée, aux conséquences dévastatrices. La terreur aveugle que Boko Haram sème cause la destruction de villages entiers, le chaos qui en résulte désorganise la vie des populations les poussant fuir leur lieux de vie pour aller s’entasser dans des camps de réfugiés de fortune ou venir grossir les bidonvilles insalubres autour des villes où elles espèrent trouver une meilleure protection. L’activité agricole en est gravement affectée, jetant ainsi les bases de famines futures.
Les populations vivent dans la peur, le sentiment d’insécurité s’installant durablement avec la multiplication des attaques kamikazes dans les zones d’attroupement de personnes (marchés, mosquées …) , ainsi que des raids éclairs qui sèment le chaos et la mort dans des villages. Cela conduit à la limitation des déplacements des personnes et des biens, et paralyse petit à petit l’activité économique. Une réponse inappropriée ou insuffisante à ces enjeux sécuritaire et économique conduirait à un enracinement de l’instabilité dans la région. A terme les attaques ne seraient plus cantonnées aux zones frontalières foyers de l’insurrection, elles s’étendraient inévitablement à l’intérieur même des pays concernés. C’est cette évolution qu’on observe déjà actuellement, que certains observateurs sont tentés de mettre sur le compte d’un changement de stratégie consécutif à un affaiblissement du mouvement terroriste préfigurant son éradication rapide. Il convient de rester prudent par rapport à la capacité de cette organisation à poursuivre le combat malgré les revers militaires bien réels et sérieux subis avec la perte de localités conquises dans le nord-est du Nigéria, avec la contribution décisive de l’armée tchadienne. D’abord parce la victoire militaire bien que nécessaire, ne traite pas les causes profondes du mal qui alimentent les frustrations et rancoeurs sociales qui peuvent pousser les jeunes en bute à la pauvreté et au désoeuvrement à s’enrôler dans les rangs de ces combattants fanatisés. Ensuite parce que la volonté de convertir par la force à leur conception de la religion, pouvant conduire à l’élimination physique des personnes qui y résistent, est inscrite dans l’ADN de ces groupes. Enfin parce que leurs recrues n’entretiennent pas le même rapport à la mort au combat que leurs adversaires, ils considèrent un tel sort comme un sacrifice ultime préfigurant le passage vers une nouvelle vie de félicité et de délices éternelles. Ils combattent donc avec une ardeur renouvelée en dépit des pertes infligées à leurs rangs.
Les éléments d’une solution.

Une réponse adéquate à la menace que représente Boko Haram comporte nécessairement une dimension militaire, une dimension politique mettant l’accent sur la prévention et la sécurité intérieure, ainsi qu’une dimension économique.
La négociation n’étant pas une option valable face à de tels groupes extrémistes utilisant prioritairement la violence et la terreur, une réaction militaire efficace des Etats attaqués constitue la première étape de la réponse. La victoire militaire est indispensable afin de restaurer l’autorité de l’Etat indispensable à la consolidation de la paix après les hostilités. Elle n’est cependant pas suffisante. La capacité d’anticiper les attaques par l’action de services de renseignement efficaces et ainsi de renforcer la sécurité des populations permet de créer les conditions d’une normalisation progressive de l’activité après la phase de confrontation armée. Enfin un véritable développement économique des zones touchées qui ont été longtemps marginalisées et abandonnées par les pouvoirs centraux, permettrait de tarir les sources de recrutement de tels mouvements qui trouvent un écho au sein de populations pauvres et sans espoirs d’opportunités pour se nourrir et simplement pour vivre.
Des dirigeants politiques de la sous-région, seul le président Idriss Déby du Tchad semble avoir très tôt compris les dangers de la situation. Confronté à l’indolence de ses pairs du Cameroun et du Nigéria, ce dirigeant a alors pris la responsabilité de lancer un certain nombre d’initiatives d’envergure dont on peut mesurer aujourd’hui la pertinence pour le traitement de la menace. Idriss Deby s’est déplacé à Yaoundé pour rencontrer le président Paul Biya sur la question Boko Haram, alors que son pays est en quelque sorte en deuxième ligne de cette menace à laquelle est directement confronté le Cameroun. On se serait attendu à ce que ce soit le Cameroun qui soit demandeur de l’aide du Tchad, et que par conséquent que ce soit le président du Cameroun qui se déplace à N’Djamena pour rencontrer son homologue tchadien dont l’efficacité des troupes combattantes a été prouvée sur plusieurs théâtres d’opération du continent (RCA, Mali).
Le président Idriss Deby a également pris l’initiative de lancer une offensive terrestre de son armée, qui a permis de stopper pour un temps la poussée des islamistes et de libérer un certain nombre de localités que les militaires nigérians leurs avait abandonnées. Malheureusement cette initiative s’est heurtée aux réticences des autorités nigérianes jalouses de leurs prérogatives mais paralysées par la corruption et le manque de motivation de leurs forces armées, et qui peinent à maintenir les territoires libérées que les terroristes menacent de reconquérir à nouveau.
Il ne fait pas de doute que le président tchadien et ses forces armées ont la capacité de prendre la tête d’une offensive militaire victorieuse contre le mouvement Boko Haram. Dans ces conditions, il ne serait pas compréhensible qu’ils ne prennent pas une part significative dans le commandement de la force multinationale qui est entrain d’être mise sur pied pour contrer ce mouvement dans la sous région. Il serait fâcheux que se reproduisent les mêmes erreurs qui ont été commises au Mali, et qui conduisent maintenant à une sorte de résurgence de la rébellion islamiste dans ce pays. Dans le cas du Mali, la France sans doute aveuglé par l’arrogance de l’ancienne puissance colonisatrice, n’a pas semblé évaluer à sa juste mesure la contribution décisive du contingent tchadien dans les premières offensives victorieuses déclenchées en janvier 2013 et ayant permis de juguler l’avancée des islamistes. Elle n’a pas véritablement cherché à maintenir les troupes tchadiennes sur cette opération, et notamment pour poursuivre et terminer le travail à Kidal et au-delà, dans les régions de retranchement de ces islamistes aux confins du nord Mali dans le massif des Ifogas où il s’étaient réfugiés. Elle a même commis une erreur grave d’appréciation lorsqu’elle n’a pas appuyé de tout son poids diplomatique, qui est important dans cette région, la nomination d’un officier tchadien à la tête de la Mission intégrée des Nations Unis pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) déployée en 2013 suite à l’offensive militaire réussie de la France appuyée par ses alliés africains au Mali. Cela aurait pourtant été justice en regard des contributions décisives de l’armée du Tchad à la victoire militaire obtenue sur cette première phase de la confrontation armée.
Concernant l’aspect de la sécurité, la désorganisation actuelle des services de renseignements dans un pays comme le Cameroun le rend particulièrement vulnérable aux attaques terroristes. Cette fragilité est malheureusement renforcée par la quasi-paralysie de son Administration qui est une conséquence de l’immobilisme de son président, dans un contexte politique où toutes les décisions importantes sont prises à la présidence de la république par le président ou en son nom. La mise à disposition de moyens importants et en urgence pour le renforcement et la réorganisation des services de renseignements devient une priorité. Bien entendu, de tels moyens ne permettront d’atteindre les objectifs fixés que s’ils sont accompagnés de mesures énergiques pour limiter la corruption, véritable fléau endémique à tous les niveaux de l’administration de ce pays.
La question de l’interdiction du voile intégral a été soulevée à l’occasion de cette crise, car il permettrait à des terroristes de se dissimuler au milieu de la foule afin d’y faire exploser leurs bombes humaines. Cette question a déjà fait l’objet d’un vif débat dans certains pays d’Europe en bute également à des tentatives de déstabilisation de groupes de fondamentalistes musulmans. J’avoue ne pas comprendre que cette question fasse l’objet d’un débat, une telle interdiction dans les lieux publics ne peut pas être une option, elle s’impose dans la mesure où il doit être possible d’identifier toute personne se trouvant dans l’espace public. Il convient de noter que certaines de ces modes vestimentaires (la burqa, le niqab) ne se sont exportées du périmètre originel de leur usage que très récemment, révélant peut-être une volonté d’instrumentalisation non dénuée de provocation.
Enfin, sur l’aspect économique, une solution durable passe nécessairement par un plan de développement massif des infrastructures afin de rattraper le retard des régions touchées qui ont été négligées jusque là en matière de développement. Cela permettrait de générer des opportunités économiques qui manquent à leurs populations, et de désamorcer la frustration qui en résulte et qui peut pousser à céder aux appels exaltants des prêcheurs islamistes radicaux.
Parmi les options envisageables pour développer les infrastructures dans la sous région, deux initiatives peuvent retenir l’attention : projet Transaqua pour la remise en eau du bassin du Lac Tchad par transfert d’eau à partir du bassin du Congo via un canal creusé entre les deux bassins, et le prolongement de la ligne de chemin de fer de Ngaoundéré à N’Djamena. L’intérêt économique de telles infrastructures est réel, avec par exemple la liaison directe ferroviaire du Tchad pays enclavé au port de Douala, et l’augmentation du potentiel halieutique du Lac Tchad en même temps que la création d’une nouvelle voie fluviale d’échange reliant le cœur de la forêt en Afrique centrale au sahel.

Il convient également de trouver des alternatives à l’étroitesse du marché de l’emploi salarié, par exemple en mettant en place des mesures énergiques pour limiter les tracasseries d’une administration corrompue et inefficace, et en élaborant une législation fiscale mieux adaptée. En effet ces dysfonctionnements constituent dans l’état actuel de puissants freins à l’essor de l’activité économique génératrice d’emploi et de revenus.
Les pays africains qui ont réussi ou sont en passe de réussir leur sortie de l’état de sous-développement ont su apporter des réponses efficaces pour favoriser le retour de la croissance, qui incluent la réalisation d’infrastructures d’ampleur.
C’est notamment le cas pour le Rwanda, un pays qui est aujourd’hui parmi les mieux classés en terme de performance de l’environnement des affaires (numéro 2 sur le continent juste derrière l’Ile Maurice et 20ème au niveau mondial selon le rapport Doing Business 2014 publié par la Banque Mondiale), avec une croissance économique soutenue dépassant les 7% depuis plus de dix ans. Une telle performance est remarquable, surtout lorsqu’on tient compte du fait que ce pays l’a réalisé en à peine 25 ans, après la sortie en 1995 du chaos généré par la guerre civile et la folie meurtrière ayant conduit au massacre de près d’un million de Rwandais principalement Tutsi. De ce point de vue, la réussite du Rwanda est un motif de fierté pour l’Afrique, et un exemple qui peut inspirer bien chefs d’Etat du continent dans leurs pratiques de gouvernance économique. Il est bien vrai que se pose aujourd’hui dans ce pays le problème de l’alternance avec la fin du dernier mandat du président Paul Kagame autorisé par les dispositions constitutionnelles actuelles. De mon point de vue, le vrai enjeu ne porte pas sur la question du remplacement de Mr Kagame qui remplit de manière remarquable et enviable ses fonctions de chef de l’Etat, mais plutôt sur le fait de savoir si ce dernier prépare activement ou non sa succession à la tête du pays. Il serait vraiment dommage que la vanité humaine le pousse à se comporter comme s’il était éternel et à conserver indéfiniment le pouvoir. Une dérive de la sorte ne peut que générer à terme une usure conduisant son régime à devenir de moins en moins efficace (Principe de Peters).

L’exemple de la Côte d’Ivoire est également à signaler. L’équipe dirigeante en place a entrepris d’importants travaux incluant l’amélioration des infrastructures pour relancer l’activité économique du pays après la guerre civile (ponts à Abidjan, routes interurbaines …). Avec un taux de croissance situé au dessus de 8% depuis 2012, conjugué à une baisse progressive de l’insécurité qui s’était développée avec les troubles, le pays se normalise progressivement. Il faut bien admettre que Mr Alassane Ouattara est en passe de réussir là où le gouvernement précédent sous la conduite de Laurent Gbagbo a échoué. Cela devrait relativiser un certain nombre de critiques qui ont accompagné son accession chaotique à la fonction présidentielle, et qui persistent à la faveur d’une forme de combat d’arrière garde qu’une petite frange d’activistes du continent continue bien inutilement d’entretenir sur cette cause. Le siège de la BAD délocalisé pendant quelques années à Tunis à cause des affrontements, est retourné à Abidjan en 2014, signe que la sécurité est petit à petit rétablie sur l’ensemble du territoire.
Eugène WOPE
Paris, 24/08/2015

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