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Cameroun: L’ IMMUNITÉ DES CHEFS D’ETATS EN QUESTION

Par: Jean Claude SHANDA TONME

Le débat sur le principe de l’immunité des chefs d’états est vieux comme le monde et peut être considéré aujourd’hui comme clos en dépit des discussions récurrentes qui procèdent plus d’une inutile polémique politicienne, que d’une recherche effective d’enrichissement et de modernisation des rapports politiques et diplomatiques. A ce propos il faut faire attention de ne pas confondre l’immunité pénale de l’immunité politique, les deux ayant néanmoins fini par être fondues dans une même conception de la responsabilité par une approche nouvelle et globale.
L’histoire de la construction de presque tous les systèmes juridiques met en exergue la volonté des penseurs et des philosophes, de dégager une marge de sécurité pour tout détenteur du pouvoir suprême, ou pour toute personne accomplissant une mission précise à un moment donné. L’immunité du diplomate est ainsi la plus connue, la plus répandue, et la plus facilement acceptée.

Il convient par conséquent de se situer dans les fondements moraux de la notion d’immunité, pour en percevoir la signification lorsqu’elle est évoquée dans le champ politique. C’est le cas lorsqu’il s’agit d’évoquer la responsabilité des dirigeants, et l’étendue de leurs pouvoirs en cas de mis en cause. Avant les affres de la deuxième guerre mondiale résultant de l’idéologie nazi générée par Adolphe Hitler, la communauté des nations ne s’était pas vraiment posé la question de la responsabilité des dirigeants dans toute sa plénitude internationale. L’idée dominante demeurait la liberté des princes dès lors qu’ils sont investis du pouvoir de gérer leurs sujets, et pour autant qu’ils sachent se limiter pour toutes leurs exactions, dans les limites de leurs territoires de compétence.

En fait, ce qui transparait dans les tentatives perçues par ci et par là, c’est toute la problématique de la responsabilité nationale et internationale des souverains et de leurs serviteurs, de leurs associés, et des tiers considérés comme coauteurs passifs ou actifs dans la mise en œuvre de leurs volontés.
Le droit interne, mais aussi le droit international, a résolu ce problème sans hésitation, en recourant tantôt à la détermination des seuils de compétence discrétionnaires acceptables, et tantôt à l’élaboration d’un catalogue de normes sacrées considérées comme une base morale inviolable dans l’intérêt supérieur de la société, ou plus encore, dans l’intérêt de l’ordre public tout court. On trouve déjà dans le droit interne, la vertu des limites et des conditions de validité contractuelles par l’objet, par la forme, par la substance, et par le statut des cocontractants. Les nullités en découlent de façon automatique en cas de violation ou de non respect de quelques conditionnalités.

En ce qui concerne la responsabilité politique, les plus hauts dirigeants, le plus haut aussi, sont traités avec une attention particulière dont la contrepartie logique est le recours à une instance spéciale pour connaître de leurs abus et éventuellement ordonner leur punition. La haute Cour de justice pour certains, le Tribunal suprême pour d’autres, actionnés dans les cas dits de haute trahison, témoignent de la volonté très ancienne de toutes les civilisations juridiques, de surveiller le monarque et de le mettre à mort si nécessaire.
Ainsi donc, à la plénitude des compétences et à l’extension des pouvoirs vers un certain absolutisme royal, s’est accolée la sagesse du contrôle et l’exigence de responsabilisation devant la collectivité. Le concept du gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, n’est donc pas sorti du néant. Il fonde toute l’intelligence des formes de gouvernance depuis les monarchies absolutistes jusqu’à la conception de la République moderne et à l’invention du Tribunal Pénal international. Il faut donc comprendre que même le Tribunal de Nuremberg ne fut nullement une innovation, et que la haute Cour de justice sensée juger le souverain pour haute trahison, ne fait que se situer dans le processus de maturation d’une certaine civilisation juridique universelle commune à tous les peuples et à toutes les cultures.

Il faut encore se souvenir de la démission de Richard Nixon, menacé par la procédure de destitution prévue dans la constitution américaine, de Bill Clinton contraint de s’expliquer sur ses frasques sexuelles ou encore de jacques Chirac mis en examen, pour mesurer le niveau de folie, d’hérésie, et de provocation idiote que peut représenter aujourd’hui, un projet de constitution proclamant l’immunité d’un Chef d’Etat. En fait, c’est se positionner complètement à contre courant des évolutions des dernières décennies, que d’envisager même de façon partielle, l’exonération de la responsabilité des souverains.
Dans sa fonctionnalité normative, le droit international avait déjà, dès 1969 dans la convention de vienne relative au droit des traités, prescrit en ses articles 53 et 65, la notion d’ordre public international à partir de laquelle, il est devenu possible de déclarer nul et nul de tout effet, tout accord immoral. Et bien avant cela, le préambule de la Charte de l’Organisation des Nations Unies ainsi que certaines de ses dispositions pertinentes relatives au maintien de la paix et de la sécurité internationale, sont considérés dans le droit international positif comme des codes de conduite inviolables obligeant les dirigeants du monde à la rectitude.
Pour cette raison, il y a très longtemps que la rectitude au regard du droit des gens et du gouvernement des gens, est entendue comme l’obligation de rendre également compte dès lors que des fautes peuvent avoir été commises dans l’exercice des responsabilités importantes.

Ce sont d’abord les dictatures militaires d’Amérique latine et d’Amérique Centrale qui les premiers ont tenté vers la fin des années 1970, de se ménager une retraite paisible en incluant dans des constitutions taillées sur mesure, des dispositions les immunisant de toutes poursuites pour leurs crimes. Toutes ces manœuvres ont été annulées par les régimes démocratiques qui ont suivi. Les anciens gestionnaires, Chefs d’Etat et comparses, ont dont été poursuivis, arrêtés, jugés, et sévèrement condamnés. Des procès concernant d’anciens Chefs d’Etat sont en cours à travers le monde, que ce soit devant des tribunaux spéciaux, ou que ce soit devant des tribunaux ordinaires de leurs pays.
L’irruption d’une nouvelle vision du monde articulée sur une conception générale et plus volontariste de la notion de gouvernance, a crée une dynamique qui ne permet plus aux dictateurs de se soustraire du jugement des peuples. Même le droit international des immunités diplomatiques, droit spécifique régissant les relations entre les Etats souverains, a été suffisamment corrigé dans la pratique, pour autoriser une remise en cause des immunités de juridiction et d’arrestation en tant que de besoin.
Mais il y a plus grave, c’est le principe de la responsabilité des serviteurs et des tiers coauteurs des actes immoraux. Dans la perspective de l’instauration d’un pouvoir qui serait contraire par son esprit et ses actes éventuels aux préceptes d’ordre public et d’intérêt national, toutes les personnes ayant directement contribué à la fabrication des instruments légaux d’une telle supercherie seraient responsables au même titre que le souverain. C’est le cas par exemple de parlementaires, de collaborateurs rapprochés ou éloignés dont les rôles seraient clairement établis à l’occasion d’inévitables investigations. Le jugement et la condamnation d’Hitler s’accompagna de tous les principaux responsables du parti nazi. C’est dire combien et jusqu’à quel niveau, des individus revendiquant le statut de président de section et diligentant des pétitions de soutien pour l’instauration d’une présidence à vie, pourraient être mis en cause demain et jugées pour haute trahison aux côtés du chef de leur parti.
En somme, le droit international moderne a démontré dans l’étape récente qui cadre avec la fin de la guerre froide et la confirmation d’un droit humanitaire doublé du droit d’intervention, une vitalité qui permet aux citoyens de ne pas craindre les velléités des dictateurs fous et des rois fainéants de se soustraire de la justice. Bien au contraire, le champ de mise en cause et les éléments constitutifs du dossier d’accusation des autocrates, a été considérablement élargi pour intégrer dorénavant, la faute pour instauration de la misère, appauvrissement d’un peuple, exportation illicite des capitaux, braderie du patrimoine national, et violation des codes culturels des communautés spécifiques, suppression des libertés.
La pratique moderne du droit des gens a finalement accepté et reconnu à travers les compétences universelles de plus en plus reconnues par les Etats, la capacité et la faculté des simples individus, de mettre en cause, de faire poursuivre, de faire arrêter, de faire juger, et de faire condamner d’anciens souverains de même que leurs comparses et principaux collaborateurs. C’est donc peine perdue, que d’écrire aujourd’hui une constitution prescrivant l’immunité de quelconque souverain./.

SHANDA TONME 10 Avril 2008

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