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Cameroun: Dr. Shanda Tonmè sur l’appel de Paul Biya pour une force d’intervention internationale au Cameroun contre Boko Haram

le président de la Fondation Nationale de Politique Etrangère
dans un entretien avec un groupe de journalistes camerounais et africains

1 – Dans son propos liminaire en réponse aux vœux du doyen du corps diplomatique le 11 janvier, le chef de l’Etat Camerounais a appelé à l’aide internationale contre Boko Haram qui a accentué ses menaces contre le Cameroun. Que vous inspire cette initiative ?

ST : Il y a tellement à dire que l’on risque de se perdre si l’on n’adopte pas une démarche méthodique et volontairement didactique. Evidemment vous n’attendez pas de moi que je me contente des youyouyous entendus par-ci et repris même par des gens que je croyais disposer d’un sens minimum d’analyse.

Premièrement, l’initiative du chef de l’Etat n’a pas besoin d’être jugée de bonne ou de mauvaise. Il s’agit d’une initiative d’opportunité à laquelle il ne pouvait plus logiquement se dérober, et qui ne pouvait pas attendre, tant la menace est devenue sérieuse et la réaction salutaire impérieuse. Lorsque vous avez le feu sur votre toit, je crois que vous appelez au secours sans discernement, y compris le premier passant inconnu.

Deuxièmement, dans la conduite des affaires internationales, les souverains ont généralement recours à l’aide internationale sans que cela ne relève de l’exception ou de l’extraordinaire. Mais dans le cas d’espèce, l’initiative revêt une signification toute particulière à cause du jugement qui est fait d’abord sur la situation politique interne du pays, ensuite sur l’évaluation globale de diplomatie camerounaise.

2 – Pouvez-vous être plus explicite ?

ST : Ecoutez, quand un souverain confronté à une situation quelconque en appelle à l’aide internationale, les réponses ne sont pas automatiques. Les partenaires doivent d’abord faire un travail de synthèse politique et de projection stratégique. On recourt alors aux notes secrètes des chancelleries, des centres de prospective géopolitique, et des notes de recoupements des états major militaires. A qui a-t-on affaire ? La nature et les origines de la crise ? Les forces en présence ? Les objectifs des protagonistes ? Les alliances en jeu ? Les enjeux réels et cachés ? L’intérêt d’une assistance ? La nature, le volume et les objectifs de l’assistance ?

3 – Alors, dans notre cas, je veux dire celui du Cameroun, quelles simulations faites-vous à partir des éléments que vous venez d’exposer ?

ST : Le spécialiste ne s’interroge pas dans ce cas et ne vous concocte pas une enveloppe de vérités et de réalités par lui-même. Les faits matériels, techniques, humains, historiques, économiques et sociologiques sont tellement carrés qu’il n’y a pas d’erreur possible. Qui êtes-vous ? Comment avez-vous conduit votre diplomatie ces dernières années ? Quelle est le degré de votre stabilité politique et de votre cohésion nationale ? Que pouvez-vous raisonnablement attendre des partenaires proches et lointains ? Voyez-vous, vue ainsi, nous sommes très mal en point. Rappelez-vous très bien que les Etats n’ont que des intérêts et qu’ils n’ont pas d’amis. Et par ces temps de profusion de menaces de toute nature, il ne viendrait pas à l’esprit d’un dirigeant de s’engager avec légèreté dans des actions extérieures.

4 – Comment jugez-vous donc la réponse favorable du Tchad,

ST : Vous parlez d’un pays voisin avec lequel nous avons d’excellentes relations en dépit de nombreux couacs. N’avons-nous pas accepté avec empressement le passage du pétrole tchadien sur notre territoire, le fameux pipeline qui conduit le bruit jusqu’au terminal de Kribi ? Nous avons de nombreux autres projets importants, par exemple dans les chemins de fer et l’énergie électrique. Maintenant, je dois vous révéler que bien des choses sont à dire à propos. D’abord, on se serait attendu à une réaction coordonnée dans le cadre de la CEMAC au lieu d’une réaction solitaire de Ndjamena. Faudrait-il conclure qu’il y a là un problème résultant du peu d’intérêt que nous avons souvent montré pour les affaires de la sous région ? Que l’on ait entendu ni Sassou ni Obiang se prononcer pose un problème et soulève des questions.

5 – Oui mais Shanda Tonme, est-on vraiment obligé de recourir à tout le monde à la fois ?

ST : Attendez, il s’agit d’une question de principe, et même d’un usage établi par la pratique du droit des relations internationales des crises et consacré par la charte de l’ONU, notamment les articles 51 et 53 du chapitre VII relatif au maintien de la paix et de la sécurité internationale. Ces dispositions donnent la priorité aux organisations et structures régionales en cas de menace, en cas de crise déclarée. Cela veut dire que dans le cas d’espèce, il revenait à la CEMAC d’actionner ses mécanismes politiques et militaires. Or cela n’a pas été fait et on peut logiquement déduire que la déclaration du secrétaire général de l’ONU condamnant les exactions de Boko Haram ou encore celle du secrétaire d’Etat américain John Kerry avait une autre portée et d’autres buts loin d’un appui au Cameroun.

6 – Je vous rappelle aussi que l’Union Africaine a apporté son appui et c’est important.

ST : Justement, il y a trois niveaux d’opérationnalisation des mécanismes de maintien de la paix et de la sécurité internationale : sous régionale, régionale puis universel. C’est donc une démarche par palier selon l’évolution des outils mis en œuvre et selon le degré de leur efficacité par rapport à la réalité de la menace, les dégâts et le préjudice. Ce que nous devons reconnaître avec humilité et honnêteté c’est que notre diplomatie n’a plus le niveau de considération d’il y a quelques décennies. Notre présence et notre participation se situent à un seuil bien en deçà de notre position géopolitique qui est naturellement celui d’un pôle d’influence et d’un carrefour dans la sous région. Nous avons trop souvent été absent à des moments cruciaux, laissant s’installer le sentiment d’un désintéressement des affaires continentales.

7 – En fait vous parlez de l’absence du chef de l’Etat à certains sommets ?

ST : C’est juste. Je citerai par exemple l’absence aux différents stades et concertations de haut niveau sur la Centrafrique, à Brazzaville, à Ndjamena, à Libreville. Je citerai l’absence au sommet de Harare quand il fallu transmettre le bâton de présidence à Mugabe par Paul Biya. Je citerai l’absence en Afrique du sud lors de la création de l’Union Africaine. Je citerai l’absence à Syrte lors de la dernière réunion menant à la déclaration fondamentale autant qu’historique sur les Etats unis d’Afrique. On ne compte plus les occasions où le premier ministre ou le président du conseil économique et social qui représentent souvent le chef de l’Etat, ont été boudés voire humiliés ouvertement lors de tels missions par les autres souverains. Tout cela s’accompagne d’une réduction comme une comme une peau de chagrin de hauts cadres camerounais dans les institutions continentales. Notez également la rareté des visites officielles dans les Etats du continent, consacrant ainsi l’impossibilité de contacts et de concertations fluides et utiles sur une base régulière avec des homologues chefs d’Etat.

8 – Justement, Shanda Tonme, on observe que les Camerounais ne sont plus
nombreux dans les organisations internationales en général. Que se passe-t-il vraiment ?

ST : Il se passe simplement que nous ne faisons rien pour que la situation soit différente de ce qu’elle est en ce moment. Lorsque vous entendez des rares cas à l’instar de Monga récemment promus DGA de la CNUCED, il ne faut pas se méprendre sur l’origine de la distinction. Les quelques Camerounais qui émergent ainsi, sont tout simplement super voire hyper brillants et capables de construire une haute stature internationale personnelle. La fonction publique internationale est devenue totalement tributaire de la diplomatie de pondération géostratégique et de rotation géopolitique. Les gouvernements, les chefs d’Etat s’activent personnellement pour placer leurs nationaux aux postes les plus influents et les plus importants. Cela suppose par ailleurs une grande aptitude à cultiver des relations étroites avec les dirigeants des organisations internationales. Par ailleurs, il y a une relation dialectique étroite entre la relation personnelle d’un chef d’Etat avec les dirigeants des institutions internationales, et le niveau, le nombre et l’influence de ses nationaux dans ces structures. Lors de mes multiples visites dans différentes organisations, je rencontre toujours des nationaux qui sont bloqués dans leur avancement faite de soutien de leur pays. Il y a même des exemples où nous avons tout mis en oeuvre pour qu’un compatriote perde son poste et qu’il soit ensuite remplacé comme on dit par un autre du pays organisateur.

L’autre aspect de la question, celui purement politique teintée d’un genre de cynisme avéré, c’est que le refus de promotion des nationaux dans les structures internationales, par peur que ceux-ci après avoir gagné en réussite, en respectabilité et en popularité avec un carnet d’adresses éloquent, deviennent trop importants, trop influents de manière à constituer une menace pour les tenants du pouvoir dans le pays.

9 – Donc, à vous entendre, c’est perdu pour le Cameroun et pour longtemps.

ST : C’est certain et je vous le confirme. Nous mettrons longtemps pour nous relever de ce vide. Cela prendra plusieurs générations même après un changement de régime. Je me dois néanmoins de vous révéler que le chef de l’Etat camerounais a il y a quelques années, fait tout ce qu’il fallait faire et tout ce qui était dans son pouvoirs, ses prérogatives et capacités, pour accompagner Maurice Kamto lors de l’élection manquée comme juge à la Cour internationale de justice de la Haye. Biya avait été extraordinaire et il me souvient lui avoir adressé des félicitations à propos. Hélas, c’est quelque chose qui ailleurs se fait sur une base quotidienne, planifiée et généralisée. J’ai par exemple un camarade de formation à Dakar, diplomate chevronné, qui travaille dans une structure stratégique spécialement chargée de conseiller le président sénégalais sur le positionnement de leurs nationaux brillants dans les administrations publiques internationales. Au Bénin, au Mali, au Kenya, en Afrique du Sud, vous trouvez des structures équivalentes.

Les fonctionnaires internationaux jouent un rôle relai, par exemple l’orchestration de pressions pour l’orientation des aides, des projets et programmes importants vers tel ou tel pays, vers son pays.

10 – Revenons au Tchad. Que vous inspire la réaction rapide du Tchad et comment entrevoyez-vous l’affaire à long terme ?

ST : D’abord, d’un point de vue géopolitique, soyons honnête pour reconnaître que les vents ont définitivement tourné en défaveur du Cameroun dans la sous région. Voici confirmé et étalé au grand jour, dans les faits et sur le terrain, ce qui se savait déjà depuis une dizaine d’années, à savoir le leadership tchadien au plan militaire, et congolais ( Brazza) au plan politique, puis équato-guinéen au plan financier. Le Cameroun ne se retrouve plus nul par dans les premiers rôles, et tient dans les rangs juste intermédiaires, c’est-à-dire avant les derniers qui sont en fait des malades à l’instar de la Centrafrique. Le Gabon par contre navigue dans des considérations bien plus actives au plan diplomatiques, et sans jouer les premiers rôles, hérite de l’activisme qui était déjà la marque la plus connue de Bongo père. Le régime demeure là-bas une autocratie néanmoins, mais très éclairée au plan diplomatique et relationnelle.

11 – D’accord, mais faudrait-il craindre le Tchad ?

ST : Je ne répondrai par une affirmation péremptoire, toute comme je ne réfuterai pas une assertion dans ce sens avec légèreté non plus. J’ai certes besoin ici d’associer à la fois la prudence et la réserve du diplomate d’une part, et le discours descriptif et démonstratif, puis certainement de l’universitaire à la fois. Si vous avez vu les images de cette colonne de soldats tchadiens entrant sur le territoire camerounais et l’accueil des populations, il y a bien des choses que la symbolique du moment emporte dans les sphères d’analyses politiques pures. Trop d’équations sont encore à élucider.

12 – Parlons clairement : devrait-on avoir peur de l’armée tchadienne ?

ST : Puisque vous insistez, je vous réponds par une double négation qui pourrait simplement dire qu’en associant plusieurs paramètres de dénégations, on abouti à une affirmation sans doute plus forte qu’un dessin l’aurait fait. Oui il faudrait en avoir peur. Il ne s’agit pas de s’en tenir à cette légende selon laquelle il s’agit d’une armée aguerrie, car leur force et leur respectabilité ne commence pas avec l’intervention et les faits d’arme glorieux au Mali. Non, ce qui est patent et remarquable à la fois, c’est leur équipement et leur cohésion. En face, nombre d’armées africaines sont chroniquement minées par le tribalisme et le sous équipement chronique du fait de la corruption des chefs du haut commandement.

S’agissant de la logique de la peur, il faut savoir, comme nous le disons dans les enseignements géopolitiques et géostratégiques, que dès qu’un Etat admet des troupes étrangères sur son territoire, il plonge son destin dans une équation à plusieurs inconnues. De plus, s’il s’avère que la présence des troupes étrangères ne procèdent pas d’une application du jeu des alliances préexistantes, l’Etat court des risques de voir son destin immédiat être géré par des puissances tierces sans son consentement.

13 – Dans le cas d’espèce, de quelles puissances tierces parlez-vous, et que peut-il arriver vraiment ?

ST : Vous m’amenez à dire des vérités qui ne devraient peut-être pas l’être à ce stade de la planification militaire et diplomatique. En fait, la décision de Ndjamena ne s’est pas faite là où vous croyez et selon les humeurs d’Idriss Deby comme vous risquez de dire. Sans doute devrais-je vous signaler que s’il n’en tenait qu’à la rancœur des Etats de la sous région à l’égard du Cameroun, on nous aurait abandonné à notre sort. Sachez qu’au-delà des intérêts convergeant que j’ai signalé tantôt avec le Tchad, il y a la main de l’Elysée. La France a choisi dans un premier temps le service minimum, à travers son bras séculier, son gendarme sous régional qu’est dorénavant Ndjamena. Alors, lorsque j’entends des gens, y compris des intellectuels et quelques journalistes dignes d’éveil, dire que la France a lâché le Cameroun, cela me fait rire. C’est la preuve que notre niveau de perception des réalités des jeux et des enjeux des relations diplomatiques et des articulations géostratégiques est pitoyable. A longueur de journée, nos médias ouvrent leurs colonnes à des bavards et des gesticulateurs qui se présentent comme des experts en tout, n’épargnant même pas un domaine aussi délicat et aussi complexe que les relations internationales.

14 – Voyons, admettons donc comme vous le dites, que Paris a donné son feu vert à Ndjamena et devra assurer quelques logistiques. Que faut-il entrevoir ?

ST : Vous êtes aussi bien placé que moi, pour juger de la situation politique délicate et même dangereuse qui est celle de notre pays en ce moment. Nous sommes dans une espèce de transition vers un inconnu qui échappe au cerveau simplifié et ou ordinaire. N’oubliez pas que l’histoire connaît des situations où les sauveteurs sont de fait ou éventuellement, devenus pires que le mal. Et lorsque une telle situation ne serait pas dans l’ordre des prospectives, la transformation d’une force d’intervention au départ, en force tampon, force d’interposition, c’est-à-dire en force neutre, rentre dans l’ordre des planifications dès lors qu’une situation de guerre civile s’installe dans un pays. En réalité une telle intervention peut en cacher une autre, et là on se rendre compte que nous avons eu sur place plutôt une force d’attente. Admettons néanmoins, par réalisme géopolitique, qu’au delà d’une présence cataloguée comme une aide au Cameroun agressé, l’activisme d’une force incontrôlée avec la capacité de nuisance de Boko Haram dans cette région, est fondamentalement préjudiciable aux intérêts vitaux du Tchad dont au moins 30% des échanges internationaux passe par le Nigéria.

15 – voulez-vous insinuer que demain, après demain ou je ne sais quand, les forces
tchadiennes peuvent servir à autre chose qu’à défendre la souveraineté territoriale du Cameroun ?

ST : Ecoutez, dans le processus de désagrégation des Etats et l’instrumentalisation de la guerre civile, les étapes connues recoupent des rebellions non ouvertes dans le premier temps, avant ensuite de transformer ce qui n’était qu’une forme d’asymétrie en une parfaite symétrie. Les prémices sont constituées par tous les ingrédients des pays où aucune lisibilité politique n’existe pas ou plus pour la construction, même simplement psychologique et intellectuelle, d’une alternance au sommet du pouvoir. Ne pensez pas que la Somalie, la Sierra Leone ou encore le Libéria, ont existé seulement sur la planète Mars, ou encore que le malheur est venu tout d’un coup de ne je ne sais où. Si le bonheur se construit, le malheur aussi se construit et même encore mieux que le bonheur. Faites donc votre propre examen de conscience et cherchez à savoir ce qui vous diffère, vous éloigne, vous change par rapport à des étapes expérimentées par d’autres nations entrées dans la déliquescence.

16 – Si nous faisons une synthèse, il faut retenir que notre appel ne produira pas les effets escomptés et ensuite que nous risquons de nous tirer une balle au pied.

ST : C’est à la fois juste et pertinent. Lorsque vous n’avez pas mené une vie ouverte sur le monde, une gouvernance basée sur une compréhension fonctionnelle et active d’une scène internationale où les alliances, la présence au plus haut niveau et le courtage exprimant une certaine passion pour la défense des intérêts nationaux sont les traits fondamentaux, vous devez être sûr de vous retrouver seul le jour du malheur. Et d’ailleurs, les supposés partenaires qui d’une manière ou d’une autre vous ont déjà discrètement tourné le dos, vous traitent avec dérision. Le Cameroun doit bien compter ses amis, ses vrais amis sur la dizaine de doigts que d’une main. Laissez de côté les effets d’annonce. La pire des bêtises c’est de se nourrir de mensonges, d’autosatisfaction et d’autoglorification. Les nombreuses motions qui encombrent les médias officiels ne sont pas en mesure d’étouffer indéfiniment une réalité d’isolement et d’incapacitation diplomatique. L’autre remarque à faire à propos, c’est que nous manquons cruellement d’outils diplomatique, au propre comme au figuré, à l’administration centrale comme à l’extérieur. Tout est désuet, rouillé, dépassé, inadapté et incohérent. Tenez, il n’y a eu aucun mouvement diplomatique donc aucun redéploiement du personnel depuis au moins une décennie. A l’administration centrale, tous les responsables sont des retraités et les titres des postes sont quelque chose comme un éternel intérim. Par ailleurs, plus de quatre vingt dix pour cent des nouvelles recrues sorties de l’IRIC depuis au moins deux décennies, obéissent d’avantage à des critères villageois et familiaux qu’à des repères de compétence et de mérite. Conséquence, à regarder ces enfants travailler, agir, parler, vous coulez des larmes pour le pays. La plupart n’ont aucun trait de diplomate et n’étaient pas faits ni construit pour ce métier noble, élégant, exigeant et exaltant de bonne éducation et de culture.
A l’étranger, ce ne sont plus des ambassadeurs, ce sont des touristes perdus, déboussolés, confortables dorénavant comme citoyens des pays d’accréditation que comme représentants de leur pays d’origine. En somme ils n’ont pas été changés depuis des décennies. La fonction de représentation diplomatique s’accommode très mal avec l’immobilisme, l’inertie et la fratrie ostentatoire.


17 – Que dites-vous de l’aide annoncé de la Russie ?

ST : Cher ami, dans les doctrines d’emploi des équipements militaires, ce qui est un autre domaine hautement spécialisé, il faut au moins trois décennies pour changer de fournisseurs. Un fournisseur ici s’entend de pays, donc d’origine des équipements. On ne se lève un matin pour décider de passer des équipements français aux équipements russes ou chinois. Des mixages et quelques adaptations sont possibles, mais le fond demeure d’une extrême propension conservatrice. Certes, il existe des systèmes d’armes à l’instar des missiles de tout type, qui peuvent équiper toutes les armées, mais alors, leur maniement passe par des entraînements longs, coûteux en temps, en nerfs et en argent. Ce n’est pas du demain la veille. L’armée camerounaise est à presque cent pour cent équipée de matériel militaire français ou encore de l’OTAN. Quand aux officiers, ils sont presque tous formés dans les écoles militaires françaises. C’est vrai que des séminaires, quelques formations spécifiques nous viennent de Grèce, des Etats unis, de Chine, mais ils sont encore trop minoritaires et ne tiennent pas des positions d’influence dans cette armée au commandement fortement ethnicisé. Bon, si vous voulez des Kalachnikovs, Poutine vous en donnera à profusion, mais il y en a partout et une guerre ne se gagne plus à la méthode de tirailleurs de 1914. C’est autre chose, c’est intellectuel, c’est sophistiqué, c’est électronique, c’est numérique, c’est miniaturisé, c’est codé.

18 – Objectivement, sommes-nous ou pas capables de vaincre Boko Haram qui dépasse le Nigéria?

ST: Mais vous blaguez ou quoi? Je constate que vous avez tout faux, complètement et royalement faux.
Premièrement, Boko Haram ne dépasse pas le Nigéria. Abuja a d’autres options stratégiques et géopolitiques et tout ce que vous voyez sur le terrain, procède d’une pure tactique. Il ne faut pas confondre en l’espèce, tactique et stratégie. L’une instruit la projection des intérêts de court terme, circonstanciels, (la tactique), pendant que l’autre instruit des intérêts de long terme, fondamentaux (la stratégie). Ce qui est patent c’est de constater jusqu’à quel point presque tous les analystes tendent volontairement ou involontairement à ignorer les sources du problème, les origines de cette nébuleuse. Boko Haram est une pure création des dignitaires politiques et tribaux du nord du Nigéria, qui ont choisi de s’appuyer sur la religion pour contester le pouvoir politique des sudistes, en fait le refus des gens du sud de continuer le jeu de chaise musicale qui consistait à respecter une présidence tournante entre le nord et le sud. Quand Yar’a Doua meurt, Goodluck assume qui est vice-président achève son mandat. Mais alors que les nordistes s’attendent à ce qu’il ne se porte pas candidat par respect à la fameuse règle non écrite, ce dernier passe outre. En réaction, les politiciens du nord créent Boko Haram qui commence comme quelque chose destiné à intimider le pouvoir fédéral. Hélas, les choses échappent très vite aux créateurs et voici née une nébuleuse qui s’autonomise, recours aux prises d’otage, entre en contact avec les autres groupes terroristes en vadrouille dans le Sahel depuis la chute de Kadhafi, prospère et porte la menace partout d’autant plus facilement que la misère fait leur affaire et leur livre la chair à canon. Boko Haram c’est cela et rien d’autre. J’ai traité abondamment le sujet dans mon ouvrage paru en 2013: « Violence et guerre comme instruments des systèmes de gouvernance ». Ce livre est devenu une précieuse référence dans les états major militaires à travers le monde, mais certainement pas en Afrique où la lecture et la recherche ne sont pas le fort des dirigeants.

19 – Et comment expliquez-vous donc l’implication du Cameroun dans cette histoire? Pourquoi s’en prennent-ils à nous au lieu de résoudre leurs problèmes au Nigéria?

ST: C’est justement le deuxième volet de mon développement que vous ne m’avez pas laissé élaborer. Sachez une chose: ceux qui soutiennent que cette nébuleuse a dépassé l’armée nigériane se trompent gravement. A Abuja, on joue la politique du pire: « puisque les nordistes veulent bien tout détruire chez eux, qu’ils le fassent. Ils sont déjà très pauvres, obscurantistes et paresseux, ils en sortiront encore plus misérables. En plus Boko Haram n’empêche nullement le pays globalement de progresser et d’être la première puissance économique du continent ».
La situation du Cameroun vu de là-bas, arrange également les gens du pouvoir avec un certains cynisme. Je me suis entretenu lors d’un de mes voyages avec un professeur d’université nigérian très brillant et par ailleurs ancien conseiller à la présidence. Il a été d’une clarté on ne peut plus tranchante: « Ecoutez, pourquoi vous les Camerounais voulez-vous cacher vos problèmes et tout mettre sur le dos du Nigéria? Il y a des problèmes importants chez vous au nord, et Boko Haram est simplement un moyen, une voie facile voire rêvée pour les annoncer, les rappeler. Avez-vous fait le point ou le procès définitif des drames du coup d’Etat manqué de 1984? Avez-vous développé le nord? Vos propres politiciens animent des courants contestataires sournois qui recrutent les jeunes et les envoient en formation dans des camps au Nigéria. Les mêmes une fois bien drogués, mal entraînés au maniement des armes et des bombes artisanales, reviennent par vagues pour commettre des exactions. Voilà le noeud de la question. Ce n’est pas au Nigéria de venir résoudre vos problèmes. Quand à nous, laissez-nous tranquille, car nous savons exactement ce que nous voulons et comment nous allons régler la situation dans le Nord-Est ».
Cette position n’a en réalité rien de nouvelle, puisqu’elle est entendue aussi dans certains cercles au Cameroun, y compris de la bouche d’officiels discrets.

20 – Quelle serait donc, selon cette analyse la finalité stratégique de Boko Harma au Cameroun?

ST: C’est tout simple. Ils sont entrain de tout faire pour prendre au moins deux à trois villes, en faire une tête de pont, et nous balancer ensuite une déclaration cousue de revendications politiques avec un nom de mouvement politique quelconque. Le processus est clairement le même lorsque l’on étudie minutieusement le phénomène de naissance et de progression des rébellions à travers le monde. Je vous invite à bien revoir l’apparition de la Séléka en Centrafrique. Aujourd’hui ils sont installés comme mouvement politique et se sont offerts le luxe de brouiller toutes les cartes, non contents d’être dorénavant des interlocuteurs incontournables reconnus et adulés par tous les partenaires internationaux.

21 – Etes-vous en accord avec ceux qui pensent que les grandes puissances veulent renverser le régime de Yaoundé?

ST: Il existe certes une dose de répulsion sournoise à l’endroit du régime de Yaoundé, notamment si l’on observe qu’aucun président français ni Américain n’a foulé le sol du pays depuis plus de trois décennies, alors qu’ils ont dans le même temps tourné dans les pays limitrophes. Mais l’affirmer de façon aussi catégorique serait aller trop vite en besogne, étant donné que tous ont intérêt à conserver la maison Cameroun dans ce que l’on appelle en jargon technique » stabilité de pure convenance géopolitique ». En somme on s’accommode sans plus, sans embrasser, sans fréquenter, sans trop s’afficher, mais en jouant sur la maturation des ingrédients internes de pourriture inéluctable et par conséquent de chute à plus ou moins long terme ». Mais l’avantage du régime de Yaoundé demeure malgré tout visible.

22 – De quel avantage parlez-vous?

ST: Que l’on soit un peu honnête, et on reconnaîtra au moins que les disparitions de personnes, les coups fourrés, la répression trop caractérisée et les atteintes aux libertés individuelles de façon institutionnalisée, n’appartiennent pas au mode de fonctionnement, de gestion et de gouvernance du pouvoir politique de Yaoundé. Je crois que la personnalité profonde de Paul Biya n’a rien de la brutalité d’un Sassou ou de quelques autres. Personnellement je suis convaincu qu’il reste un intellectuel chrétien très marqué par des valeurs de tolérance, d’humilité et de réserve. La logique n’est certes pas celle d’une gestion transparente et d’une alternance assurée, mais nous sommes un peu loin de la dictature granitique, de l’autoritarisme cruel et de la répression sauvage. Nous avons ici une situation de perte d’autorité de l’Etat et d’anarchisation progressive des comportements due aux défaillances institutionnelles, aux inadéquations des structures organiques de l’Etat et de la République, avec les exigences d’une société moderne. Les conséquences peuvent aller dans tous les sens.

23 – Comment voyez-vous la sortie de cette situation de guerre ou alors de confusion voire de complot?

ST: Attendez, je reste moi, un analyste, un universitaire en dépit de toutes sortes de casquettes. Je veux dire que je ne saurai prétendre indiquer des résultats de démarches, des finalités ou des solutions toute faites dans le contexte d’une situation donnée, fut-elle de relations internationales générales, ou de pure politique interne. Je crois avoir longuement donné des renseignements évidents et mis en exergue des enseignements valables, pour susciter dans l’esprit de chacun, de multiples équations dont il est loisible par la suite de tirer des conclusions comportementales. Ce sont les systèmes de gouvernance qui engendrent les bonheurs et les malheurs des citoyens, et c’est dans ces systèmes qu’il faut chercher à construire des solutions aux problèmes qui surgissent. C’est valable pour tous les pays. Toutefois, je me refuse de jouer les donneurs de leçons, comme ces commentateurs sportifs qui à les entendre, sont toujours plus forts et plus techniciens que les entraîneurs assis sur le banc de touche lors des match de football. Ceux assument au quotidien la responsabilité directe de la gestion du pouvoir d’Etat, sont bien placés voire mieux placés, pour connaître d’où vient le mal et où peut venir la solution, même si pour mille raisons, ils ne font pas exactement ce qu’ils devraient faire.

24 – On vous comprends, mais vous êtes tout de même assez pointu dans certaines de vos positions qui sont du reste trop bien connues à travers vos nombreuses publications. Dites-nous au moins quelque chose pour l’Afrique en général en termes de prospective face au terrorisme.

ST: C’est vrai, et vous avez raison. Comprenez que je veux rester participatif, je veux rester concerné et non faire comme si je traitais une question qui ne me concerne pas. De façon générale, retenez cette affirmation selon laquelle, le problème de fond est politique et la solution radicale politique. Les Etats Africains, tous les Etats Africains dans leur configuration actuelle, sont voués à l’éclatement et rien de plus. Les Boko Haram et autres guerres civiles ne sont que la résultante de défaillances institutionnelles graves. Le modèle centralisé, autocratique et hyper totalisant de gouvernance est dépassée, vraiment dépassé. Lumumba est mort en grande partie non pas seulement pour avoir eu le courage de dénoncer le colonialisme arrogant belge, mais aussi pour avoir refusé, réfuté et rejeté le fédéralisme. Le modèle fédéral est aujourd’hui la seule voie de salut, la solution idoine, la route du succès de l’organisation politique. Ceux qui s’y opposent enfoncent chaque jour plus en avant le continent et condamnent les citoyens et les groupes de divers centres d’intérêts socio et ethnoculturels au soulèvement.

25 – Donc, vous souhaitez, disons recommandez une solution fédérale pour le Cameroun?

ST : Absolument. Elle me semble non seulement souhaitable, mais indispensable, inéluctable. Seule cette solution peut mettre fin à une situation de tribalisme invétéré, chronique et anachronique, cruelle et destructrice. Nous sommes aujourd’hui un pays fragilisé et menacé sur presque toutes ses frontières et il y a bien des raisons à cela, des raisons dont au moins une procède de l’absence d’une véritable cohésion nationale. Le sentiment d’appartenir à une seule et même nation, à un seul et même Etat, à un seul et même République, est très dilué au Cameroun. Il faut reconstruire un réel sentiment national du terroir camerounais et nous devons travailler pour cela. Or si la menace ou le prétexte Boko Haram est mal géré, c’est à l’inverse que nous risquons d’assister. Paul Biya est seul à détenir et à contrôler toutes les cartes et s’il ne fait pas vite, leur contrôle va lui échapper et ce sera la catastrophe. Je me souviens d’un ambassadeur d’un grand pays occidental qui m’a reçu à diner à la veille de son départ du Cameroun et qui m’a fait cette révélation: « Je suis allé faire mes adieux à votre président et comme toujours, je l’ai trouvé très attentif, très informé contrairement à ce qui se dit. C’est un homme parfaitement au faite des choses et je crois qu’il a plus d’un tour dans sa poche ». Alors s’il tel est vraiment le cas, et je le crois, le président devrait pouvoir nous sauver et bon capitaine, sauver le navire Cameroun./.

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