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Afrique : qui sont ces juges qui ont décidé de s’opposer à la loi du plus fort ?

C’est parfois au péril de leur vie que certains magistrats africains ont choisi de dire le droit. Portrait de ces juges courage qui, comme leurs homologues kényans, ont refusé de se plier aux injonctions du pouvoir.

« Ce juge kényan, lui, au moins, a eu le courage de dire le droit », lance sa collègue congolaise Chantal Ramazani, admirative. Le 1er septembre 2017, en annulant la réélection du président Uhuru Kenyatta pour « irrégularités », le juge en chef David Maraga et ses collègues de la Cour suprême du Kenya ont soulevé une vague d’enthousiasme en Afrique. Est-ce une décision sans précédent ? À notre connaissance, oui.

Avant cette date, jamais, en Afrique, une élection présidentielle n’avait été annulée par un tribunal. Mais David Maraga n’est pas le premier magistrat du continent à affronter le pouvoir de son pays. Avant lui, quelques juges ont résisté aux pressions politiques, parfois au péril de leur vie. Voici quelques cas emblématiques.

 

La dame de fer

Élisabeth Pognon (Bénin)

Cette magistrate a tellement marqué les esprits béninois que la Cour constitutionnelle, qu’elle a présidée pendant cinq ans, est devenue la « Cour Pognon ». En mars 1996, après l’annonce de la défaite du chef de l’État sortant, Nicéphore Soglo, face au revenant Mathieu Kérékou – qui avait déjà dirigé le pays entre 1972 et 1991 –, la « Cour Pognon » a refusé de donner suite aux recours déposés par le camp présidentiel.

Elle a même publié un communiqué dénonçant « les pressions exercées sur elle » – notamment « le mitraillage du domicile du Pr Glèlè Ahanhanzo », l’un des juges constitutionnels. « Une hirondelle ne fait pas le printemps, relate aujourd’hui la magistrate à la retraite. Seule, je n’aurais pas pu faire grand-chose, pour ne pas dire que je n’aurais rien fait. » Élisabeth Pognon a la modestie des grands. Et de fait, lors du bras de fer avec le camp Soglo, les sept juges de la cour béninoise ont fait bloc.


David contre Goliath

 Épiphane Zoro Bi-Ballo (Côte d’Ivoire)

« Je pense que l’histoire de la “Cour Pognon” a été une source d’inspiration pour moi dans l’acte que j’ai posé en 1999 », confie aujourd’hui Épiphane Zoro Bi-Ballo. En septembre 1999, ce petit juge de Dimbokro, dans le centre du pays, a fait scandale en signant le certificat de nationalité ivoirienne d’Alassane Ouattara, alors que l’opposant était traité d’« étranger » et de « Burkinabè » par le camp du président Henri Konan Bédié. « Cette décision, je l’ai prise seul et je savais que cela provoquerait le courroux du chef de l’État, mais j’avais le droit avec moi, affirme-t-il. En fait, j’ai été très marqué par mon père, instituteur, et par l’un de mes professeurs de droit à Cocody, Ouraga Obou [membre du Conseil constitutionnel de 2011 à 2014]. Tous deux plaçaient l’indépendance au-dessus de tout. »

« Parce qu’ils ont dit le droit, les juges de Nairobi ont épargné à leur pays une très grave crise », affirme Épiphane Zoro Bi-Ballo

Convocations par sa hiérarchie, coup de fil du ministre de la Justice, Jean Brou Kouakou, un farouche défenseur de l’« ivoirité »… En octobre 1999, Épiphane Zoro Bi-Ballo subit de nombreuses pressions afin qu’il renie sa signature. Mais il ne cède pas et, comme Élisabeth Pognon, il admet avoir été bien entouré. « À l’époque, j’étais soutenu par l’Association syndicale de la magistrature [ASM]. En revanche, l’Union nationale des magistrats de Côte d’Ivoire [Unamaci] s’est alignée sur le pouvoir. » À force d’être menacé, il prend peur et s’enfuit. « Je suis parti au Mali par la route. J’ai passé la frontière de nuit avec un officier de l’armée que je connaissais bien. »

Après la chute de Bédié, il rentre en Côte d’Ivoire et cofonde, en octobre 2000, le Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH). Mais il devient très vite la cible de la « presse bleue » pro-Gbagbo et doit repartir en exil. Depuis 2011, il vit de nouveau dans son pays et travaille aujourd’hui au cabinet du Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly.

« Parce qu’ils ont dit le droit, les juges de Nairobi ont épargné à leur pays une très grave crise, veut-il croire. En matière de construction d’une société démocratique, ils ont indiqué la voie. »


Le tazartché ? Pas question !

 Salifou Fatimata Bazeye, (Niger)

Beaucoup parlent, mais pas elle. La juge Bazeye est une icône au Niger, mais elle reste très discrète sur les motivations qui l’ont conduite, un jour de mai 2009, à dire non au projet du président Mamadou Tandja de rester au pouvoir au-delà de la fin de son mandat – le fameux « tazartché ».

Femme énergique et indomptable, la présidente de la Cour constitutionnelle du Niger, aujourd’hui à la retraite, a puisé aussi son courage dans un collectif. Comme la « Cour Pognon », la « Cour Bazeye » a fait bloc. Et l’avis du 26 mai 2009 a été rendu à l’unanimité des sept juges constitutionnels. Pour se venger, Mamadou Tandja a dissous la cour le 29 juin. Mal lui en a pris. Quelques mois plus tard, il sera renversé et la juge courage reprendra sa place…


L’incorruptible

 Gilbert Schlick (Cameroun)

Comme sa collègue du Niger, ce juge métis – de père allemand et de mère camerounaise – préfère l’action à la parole. Dans l’opération Épervier, tous les procès de présumés corrompus finissent par de lourdes condamnations. Tous sauf un. En mai 2012, à la surprise générale, l’impassible Gilbert Schlick, dit « l’incorruptible », acquitte l’ancien secrétaire général de la présidence, Jean-Marie Atangana Mebara, pour « faits non établis » dans l’affaire Albatros – l’achat d’un avion présidentiel.

Aussitôt, le parquet fait appel et bloque l’ordre de remise en liberté de Mebara. Quant au magistrat, il reçoit de la présidence camerounaise une demande de « note explicative », avant d’être muté. Regrette-t-il sa décision de mai 2012 ? « Non, a-t-il soufflé un jour à l’un de ses proches. J’ai pris cette initiative en accord avec ma conscience. »


Boni ne lui dit pas merci

Angelo Houssou, (Bénin)

Au Bénin, on l’appelle le « juge des non-lieux ». En mai 2013, ce magistrat a prononcé deux non-lieux au bénéfice de l’homme d’affaires Patrice Talon, qui était accusé dans des affaires d’empoisonnement et de tentative de coup d’État contre le président Boni Yayi. Fureur de celui-ci. « Après cette décision, j’ai réellement craint pour ma vie », affirme le juge, qui s’est enfui au Togo en traversant le fleuve Mono en pirogue.

Après deux ans d’exil aux États-Unis, il retrouve son pays et publie, en 2015, un livre-témoignage, Je ne suis pas un héros, dans lequel il écrit : « Nous, gens de justice, avons trop souvent une propension à nous recroqueviller et à vivre notre mission comme un angle mort. » Après l’élection de Patrice Talon, il est nommé à la tête de l’administration pénitentiaire béninoise (un joli poste très convoité). En tant que magistrat, il est désormais rattaché au Bureau d’analyse et d’investigation, le nouveau service de la présidence dirigé par Johannes Dagnon, cousin et conseiller spécial de Patrice Talon.


Contre vents et marées

Chantal Ramazani (RD Congo)

« Je suis mère de famille et j’ai eu peur. » En quelques mots, elle dit tout. En juin 2016, la présidente du tribunal de paix de Lubumbashi a reçu l’injonction de condamner l’opposant Moïse Katumbi et de le rendre ainsi inéligible. La magistrate raconte aujourd’hui que l’affaire de spoliation immobilière imputée à l’ex-gouverneur du Katanga était prescrite depuis longtemps, mais que le premier président de la cour d’appel de Lubumbashi, Paulin Ilunga, l’a convoquée et lui a dit, entouré de militaires : « Mettez-lui trois ans de prison et demandez son arrestation immédiate. »

Elle précise que son supérieur a ajouté : « Si vous ne faites pas cela, on vous révoque et on vous condamne à dix ans de prison. » Mêmes menaces contre les deux autres juges chargés du dossier. Comme elle traînait des pieds, Chantal Ramazani affirme que le chef de l’Agence nationale de renseignement (ANR), Kalev Mutond, l’a lui-même appelée d’une voix cassante pour l’intimider.

« Un collègue m’a écrit : “Vous êtes une femme forte” », raconte Chantal Ramazani

Le jour du jugement, ses deux collègues et elle se sont exécutés. Moïse Katumbi a été condamné, en son absence, à la peine préétablie. C’est alors que la juge s’est rebellée. « C’était une question de conscience, dit-elle aujourd’hui. Je ne pouvais pas vivre avec les conséquences de cette décision. » Dans une lettre ouverte, Chantal Ramazani a dénoncé « les contraintes physiques et morales » qu’elle avait subies et a demandé que sa signature « extorquée » soit « considérée nulle et de nul effet ».

La juge jouait gros. Après deux semaines de vie clandestine, elle a réussi à s’enfuir par l’aéroport de Kinshasa grâce à la complicité de quelques policiers. Aujourd’hui, elle est réfugiée politique en France, avec sa famille. « Le jour où j’ai décidé d’écrire cette lettre, j’étais seule, confie-t-elle. À l’époque, personne n’est venu à mon secours. Ni le Conseil supérieur de la magistrature, ni les syndicats de magistrats. Je n’ai eu que des encouragements en cachette, par WhatsApp et Facebook. Et un collègue m’a écrit : “Vous êtes une femme forte.” »


En toute impunité

L’agression du juge Mbuyi, le 18 juillet 2017 à Lubumbashi ? « Cela a sûrement été commandité par le pouvoir », affirme la juge Ramazani. « On ne peut pas le prouver à 100 %, mais c’est probablement une agression politique », renchérit un chercheur d’Amnesty International. Ce qui est sûr, c’est que Jacques Mbuyi, juge au tribunal de grande instance de Lubumbashi, a été victime d’une tentative d’assassinat la veille du jour où il devait présider l’audience en appel du procès contre Moïse Katumbi.

Ce 18 juillet au soir, un véhicule défonce le portail de son domicile. Huit hommes armés et cagoulés en sortent. Trois d’entre eux entrent dans la maison et violentent l’épouse du magistrat devant celui-ci et leurs enfants. Quand le juge leur propose de l’argent, ceux-ci répliquent : « Nous ne sommes pas venus ici pour de l’argent, mais pour vous tuer. » Ils tirent sur lui et le laissent pour mort.

Grièvement blessé à l’abdomen, Jacques Mbuyi survit pourtant. Il est évacué quelques jours plus tard vers l’Afrique du Sud, avec l’aide de l’Institut de recherche en droits humains (IRDH) et d’Amnesty International. Aujourd’hui, le magistrat est toujours hospitalisé et se rétablit lentement. Qui sont ses agresseurs ? Les autorités semblent privilégier la piste crapuleuse. Début septembre, sur une télévision locale, le gouverneur du Haut-Katanga a présenté deux suspects au milieu d’un groupe de personnes arrêtées dans des affaires de droit commun. Selon l’IRDH, qui est basé à Lubumbashi, aucune enquête n’a été ouverte, ni par la police, ni par le parquet de la capitale provinciale. Un juge a failli être assassiné, mais la justice semble inerte…


Élections repoussées au Kenya

Au Kenya, la nouvelle élection présidentielle, initialement prévue le 17 octobre, a été reportée au 26 du même mois. Sous le coup d’une enquête, la commission électorale (l’IEBC) peut-elle tenir les délais ? Pas si sûr. La Constitution prévoit pourtant que le nouveau scrutin aura lieu au plus tard le 31 octobre.

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