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Affaire Maurice Kamto et Co : l’incompétence ratione personae du tribunal militaire

Inculpation de Maurice Kamto, le gouvernement persiste et signe…l’Erreur

Mon avis a été sollicité sur la cause litigieuse ci-dessus, notamment si je croyais qu’il était possible pour Maurice Kamto et Co de bénéficier d’un procès équitable au tribunal militaire de Yaoundé. Estimant que la question était prématurée, il m’a semblé opportune de faire quelques précisions sur la compétence du tribunal militaire qui, en l’espèce, me semble être INCOMPÉTENT pour connaître de ladite affaire.

Qu’on se comprenne bien, je ne parle pas ici de l’incompétence ratione loci (territoriale)ou matériae. Mais au contraire, de l’incompétence ratione personae. C’est à dire, celle liée à qualité des personnes habilitées à y être jugées.

Je sais qu’en signe d’objection, d’aucuns seront tentés de brandir la loi du 12 juillet 2017 portant code de justice militaire, laquelle énumère en son article 8, les compétences du tribunal militaire. Soyez-en rassurés, cet article, moi aussi je l’ai lu avec beaucoup d’intérêt d’ailleurs. Mais ce n’est pas de ça qu’il s’agit dans la présente contribution.

Je voudrais situer le débat à un autre niveau: celui de la HIÉRARCHIE DES NORMES JURIDIQUES.

Petite digression: le Cameroun a en 2007, voté un texte de loi faisant de chaque chef de juridiction, juge du contentieux de l’exécution de ses propres décisions au mépris de l’article 49 de l’acte uniforme Ohada qui désigne sans équivoque « le président de la juridiction statuant en matière d’urgence » comme « juge du Contentieux de l’exécution ».

Or le Cameroun étant un Etat-partie de l’Ohada, faites un tour à la CCJA pour voir comment toutes les décisions prises sur le fondement de la fameuse loi de 2007 sont systématiquement censurées au regard de la portée abrogatoire de l’article 10 du traité OHADA.

C’est donc dans cette perspective que s’inscrit la présente réflexion ayant pour soubassement la problématique suivante : Le tribunal militaire a t-il compétence pour juger des civils? Non!Non!Non!

Les Principes et directives sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique, adoptés du 15 au 28 novembre 2007 à Niamey, au Niger, à l’issue de la 33e session ordinaire de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) de l’Union africaine énoncent en leur point L-a, b et c que les tribunaux militaires ne doivent pas juger les civils :
– a. Les tribunaux militaires ont pour seul objet de connaître des infractions d’une nature purement militaire commises par le personnel militaire.
– b. Dans l’exercice de leurs fonctions, les tribunaux militaires sont tenus de respecter les normes du procès équitable énoncées par la Charte et les présentes Directives.
– c. Les tribunaux militaires ne peuvent, en aucune circonstance, juger des civils. De même, les juridictions spéciales ne connaissent pas des infractions qui ressortissent de la compétence des tribunaux ordinaires»;

Que la République du Cameroun, ayant ratifié la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples depuis le 20 juin 1989, a l’obligation absolue d’intégrer cet aspect des Principes et directives dans ses lois internes comme le prévoit l’article 45 (c) de ladite Charte;

Que le Préambule de la Loi n° 96-06 du 18 Janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972 dispose clairement que : « Le Peuple camerounais, affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la déclaration universelle des droits de l’homme, la charte des Nations Unies, la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées»,
L’article 45 de cette loi fondamentale est catégorique sur le fait que «les traités ou accords internationaux régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois ».

Les conseils juridiques de KAMTO et autres ont donc un argument de poids: une exception de procédure qui leur permettra in limine litis de conclure à l’incompétence du tribunal militaire.

Le feuilleton sera riche en rebondissement dans un cas comme dans l’autre. Deux pistes s’offrent au commissaire du gouvernement mais surtout au juge.

1- Faire droit à l’exception de procédure soulevée c’est à dire se déclarer incompétent et renvoyer l’accusation à mieux se pourvoir, ce qui me semble invraisemblable.

2-Rejeter l’exception d’incompétence, hypothèse très vraisemblable.

Or c’est le piège dans lequel il ne faut pas tomber. L’Agrégé a pris la peine de s’entourer d’une équipe en béton. Ces gladiateurs des palais de justice et à l’art oratoire impressionnant auront un atout de taille: le Cameroun n’ayant pas encore effectué la « Déclaration publique » prévue à l’article 36 de la Charte et qui permet aux citoyens de saisir la Cour africaine des droits de l’homme dont le protocole l’instituant a été ratifié, la saisine de la COMMISSION AFRICAINE DES DR DE L’HOE et Des PEUPLES.

La seule embûche somme toute relative résidera sur l’OBLIGATION D’ÉPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES.

Sauf que le législateur africain conscient des entraves à la défense des Droits de l’Homme avait pris le soin à l’article 56 de la charte, d’assortir cette règle de dérogations:

Il en est ainsi de l’absence de perspective raisonnable d’obtenir justice comme ce fut le cas dans l’affaire Jessica Gonzales C/ États-Unis du 24 juillet 2007.

Il en est de même de l’entrave au droit des avocats de communiquer avec leur client de manière fluide (Cf aff. Bleier C/ URAGUAY)

Lorsque les procédures sont anormalement prolongées. (Cf Aff. Ayants droit de Nobert Zongo C/ Burkina Faso App.No. 013/2011,
CADHP 28 mars 2014)

Enfin en cas de VICES DE PROCÉDURES EVIDENTS, la règle de l’épuisement des voies de recours est écartée. Cf Aff. Immaculate Joseph C/ Sri Lanka du 21 octobre 2005.

Des exemples comme ceux-ci sont nombreux. Le feuilleton s’annonce donc très riche et une seule personne peut de manière anticipée y mettre un terme : LE PRINCE par la procédure dite de « nolle prose qui » c’est à dire l’arrêt des poursuites.

Sauf que le fondement de cette procédure est lui-même dans une perspective épistémologique sujet à caution, parce que s’apparentant à bien des égards à une arme au service du léviathan visant à neutraliser l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Impossible n’étant pas camerounais, on ne perd rien à attendre. Toutefois ne perdons pas de vue qu’en voulant neutraliser certaines personnes on court parfois le risque de les immortaliser.

Sous toutes réserves

Gérard KAMENI,observateur vigilant du quotidien.

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