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2018 au Cameroun : année des élections et des incertitudes politiques

En ce début d’année 2018, malgré la situation difficile dans deux régions historiquement marquées de notre pays, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest notamment, un visiteur en court séjour au Cameroun, penserait sans doute rapidement que la situation est sous contrôle à la simple écoute ou lecture du traditionnel message du nouvel du chef de l’Etat Paul Biya.

Malheureusement, les Camerounais avertis ne sont pas des passagers en transit dans leur propre pays, même s’ils résident pour la plupart, dans les principales métropoles que sont Douala et Yaoundé et leurs environs, travaillés par une perception bien légaliste de la crise actuelle.

Quel que soit donc l’optimisme apparent qu’a voulu afficher le président de la république, surtout lorsqu’il a conclu son discours en réaffirmant la tenue au cours de cette année même des échéances électorales prévues – quatre scrutins donc, si l’on exclut celui des Conseillers régionaux attendue depuis 2006 pour constituer avec les conseillers municipaux, les deux collèges légaux pour l’élection légale et légitime des 70 sénateurs sur 100 de la seconde chambre du parlement camerounais -, il y a lieu de rester mesuré. Et pour cause.

L’engagement du chef de l’Etat sonne davantage comme un défi personnel en tant que chef central de cet Etat ultra centralisé destiné à convaincre l’opinion nationale mais surtout internationale que la situation sécuritaire du Cameroun n’est pas aussi préoccupante que le laissent penser outre les alertes des Organisations internationales non gouvernementales (International Crisis Group, Amnesty International, Human Rights Watch, etc), le flot de déplacés intérieurs des deux régions anglophones ainsi que le nombre sans cesse croissant des réfugiés Camerounais au Nigéria voisin. Selon en effet les données officielles du Haut Commissariat des réfugiés (HCR), organisme spécialisé de l’ONU dont le Cameroun est membre, à mi-décembre dernier, c’est près de 7.000 civils, pour l’essentiel des femmes, des enfants et des personnes âgées qui avaient quitté différents villages des localités de la région camerounaise du Sud-Ouest, frontalière avec l’Etat fédéré nigérian du Cross River. Ces populations civiles accueillies au Nigéria fuient les violences meurtrières, aussi bien parmi les civils que les forces de sécurité camerounaise dans une opposition larvée entre les forces de sécurité nationales et les groupes armés se réclamant du mouvement séparatiste anglophone revendiquant la constitution d’un Etat indépendant dit d’Ambazonie anciennement connu comme les « British Southern Cameroons », alors administré au même titre que le Nigéria, depuis la défaite allemande de la première guerre mondiale, par les mandataires de la couronne britannique.

Mais cet engagement du chef de l’Etat, qui a déclaré que se tiendront des élections dans « le calme et la sécurité », pourrait se heurter à une réalité de terrain implacable. Celle marquée par la détermination des groupes sécessionnistes, exclus de toute perspective de dialogue tant le chef de l’Etat a conditionné, du bout des lèvres d’ailleurs, une telle occurrence à la préservation de «l’ordre républicain ». Cet ordre républicain est précisément ce que contestent désormais violemment les groupes extrémistes de la cause anglophone.

Du fait du vide créé par l’interdiction du Southern Cameroon National Council ( SCNC) qui jusqu’en 2016 prônait « la force de l’argument » – et non «l’argument de la force » -, excluant tout recours à la lutte armée pour son projet de retour au fédéralisme de 1961 de même que l’interdiction de la coalition des organisations de la société civile anglophone (le Consortium) et subséquemment l’emprisonnement de ses leaders, ont pris de l’envergure, malgré leur légitimité institutionnelle douteuse voire inexistante. Mais surtout, le camp de «l’option zéro », c’est-à-dire celui de l’indépendance par tous les moyens des régions anglophones, bien que très mal structuré et divisé, a désormais une résonnance, au moins psychologique, forte au sein d’une opinion locale déboussolée en raison du refus du pouvoir d’admettre la discussion sur la proposition fédérale portée par un parti institutionnel comme le SDF, jusque-là, celui qui depuis le retour au multipartisme en 1990, était le principal réceptacle des mécontentements et frustrations de la population anglophone en général, et de l’élite des deux régions, en particulier.

Car, que l’on ne s’y trompe pas : la crise actuelle, qui ne naît pas en octobre 2016 avec les revendications sociales et politiques des avocats et des enseignants officiant dans ces régions, notamment relatives à l’administration de la justice et la nature du système éducatif qui ne garantissaient pas la spécificité héritée de l’administration tutélaire anglaise, est aussi vieille que la modification de la constitution du Cameroun en 1984 pour supprimer le terme « Unie » dans le nom de l’Etat du Cameroun redevenu « République du Cameroun », nom de la partie anciennement sous tutelle française jusqu’aux aurores des indépendances en 1960.

De fait donc, malgré la volonté du pouvoir camerounais de rouvrir le dossier de cette décentralisation constitutionnalisée depuis maintenant 22 ans lors de la révision de la constitution de 1972, l’on pourrait se trouver devant deux écueils : l’un, psychologique, est lié à la perte de confiance en la sincérité du pouvoir central qui a tellement traîné le pas depuis tout ce temps, et l’autre technique. En écoutant en effet les ministres du gouvernement camerounais, pour la plupart membres de la direction du parti au pouvoir ayant pris d’assaut lundi soir les principaux plateaux de télévision à la fin du message présidentiel, dans l’optique de l’amplifier sans véritable contradiction, il est nettement apparu que non seulement il n’y avait pas d’échéancier clair de la mise en œuvre des instructions annoncées du chef de l’Etat au gouvernement mais surtout que l’Etat Rdpc n’est pas totalement prêt à libérer les pans de pouvoirs nécessaires à la participation des populations locales pour l’effectivité de cette décentralisation régionale pourtant prévue dans la constitution camerounaise depuis janvier 1996.

L’engagement présidentiel pour la tenue de toutes ces élections prévues légalement cette année 2018, pourrait donc dépendre à la fois de l’évolution de la situation sécuritaire et de la capacité de ce pouvoir à rassurer qu’il n’est pas uniquement dans la ruse politicienne dont depuis 1990, au sortir de la tripartite, il est apparu comme le champion incontesté. Au grand dam de cette cohésion nationale qui était pourtant son viatique permanent marqué notamment par la valeur « paix » aujourd’hui de moins en moins évidente si l’on regarde froidement la situation outre dans ces régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest mais aussi dans les trois régions du grand –Nord et dans cette région de l’Est frontalière avec la République centrafricaine non encore stabilisée malgré la mise en place d’un gouvernement démocratiquement élu.

Alex Gustave Azebaze

* In Le Messager du 2 janvier 2018, Page 2

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